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Cet article met l’accent sur le rôle des paradis fis-caux dans le développement des entreprises et des économies publiques européennes.
franches européennes au La logique de ces pays sera tout d’abord décrite, ce qui permettra ensuite d’analyser l’attitude de l’Union européenne face à ces comportements atypiques. Leur impact sur les entreprises sociale-ment responsables sera enfin examiné.
Les zones à fiscalité privilégiée ou « paradis fiscaux » sont nés pratiquement avec l’impôt et existent depuis l’antiquité. Ils connaissent depuis la deuxième guerre mondiale un développement accéléré.
Fabienne HATEM
ATER à l’Université de Paris II
Le processus de mondialisation des échanges, dont l’une des composantes est constituée par un degré élevé d’internationalisation du capital, a activé le phé- nomène de défiscalisation de certaines zones. Leur essor coïncide avec l’intensification de l’activité multi- nationale et la volonté de ces entreprises de minimiser Avec le processus de libéralisation des échanges et des mouvements de capitaux, les décisions des agents économiques sont de plus en plus déterminées par les différences entre les régimes d’imposition et, plus par- ticulièrement, par les différentiels entre taux d’imposi- tion. Il en résulte une tendance, de la part de certains pays et plus particulièrement des paradis bancaires et fiscaux, à utiliser la fiscalité comme une stratégie offensive dans le but d’attirer et de sélectionner les personnes, les entreprises et les activités désirées. Ces comportements provoquent une dynamique de concurrence fiscale dénoncée par l’UE ainsi que par d’autres organisations internationales.
En effet, après avoir reconnu l’échec d’une tentative d’harmonisation, la Commission européenne explore une approche plus pragmatique basée sur une prise de conscience collective du caractère « dommageable » d’une concurrence fiscale non maîtrisée1 . Dans cette optique, le régime des paradis bancaires et fiscaux ca- ractérisé par une fiscalité clémente, un secret bancaire, 1. HUGOUNENQ Réjane, Le CACHEUX Jacques et MADIES Thierry, « Diversité des fiscalités européennes et risques de concurrence fis-cale », Revue de l’OFCE, N° 70, pp. 63-107, juillet 1999.
une communication active et une certaine opacité ju- tégies d’incitations fiscales et à adopter des systèmes ridique et administrative apparaît comme potentielle- fiscaux atypiques. Les autorités communautaires ne ment préjudiciable à la concurrence européenne.
gagneraient-elles pas à adopter une attitude tactique s’appuyant sur le repérage des défaillances de leur sys- Ce débat relancé dans le cadre de l’ouverture de l’UE tème fiscal guidant le choix des mesures appropriées.
à de nouveaux adhérents considérés comme des pa- radis fiscaux (Chypre, Malte…), apparaît comme un Par ailleurs, la valorisation de l’aspect avantageux de leur système faisant ainsi des paradis fiscaux euro- péens un atout pouvant servir la cause de l’efficacité D’une part, laisser les capitaux s’investir en fonc- économique de l’union plutôt que son contraire. Dans tion des rendements et de risques est une néces- cette logique, les entreprises socialement responsables sité, une réponse à un souci d’efficacité ; la théo- pourraient en toute légalité bénéficier au sein de l’UE rie du portefeuille (Markovitz) légitime l’affec- tation de l’épargne selon ces mêmes critères de rendement-risques. Mais par voie de consé- Afin de mieux cerner la logique des paradis fiscaux, quence des régions peuvent manquer de res- une analyse de leurs concepts sera d’abord menée. sources financières requises par leurs contraintes Puis, dans le but de mettre en lumière les enjeux et les limites des mesures de lutte contre ces territoires prises par l’UE, leurs effets négatifs seront examinés. D’autre part, un pays ne peut pas accuser un Ces analyses contribueront à conférer aux paradis fis- autre de favoriser l’évasion fiscale puisque les caux un rôle positif au service du développement des seuils d’imposition revêtent un caractère arbitrai entreprises et des économies publiques.
re ; des taux peuvent être considérés comme ex- cessifs par un pays et normaux par un autre.
Dès lors, n’est-il pas excessif de condamner systéma- tiquement les paradis fiscaux sous prétexte qu’ils pratiquent une fiscalité avantageuse d’autant plus 1.1. Paradis fiscaux et centres offshore : une qu’après trente années de dérégulation financière, pratiquement tous les pays du monde offrent des faci- lités fiscales aux personnes qui ne résident pas sur leur Certains paradis fiscaux, en offrant une gamme de territoire ? Londres, par exemple, avec son euromarché services financiers, se sont transformés en centres exonéré de tout impôt est d’une certaine manière un bancaires ou centres (zones ou places) offshore. Ces paradis fiscal pour les épargnants du monde entier.
derniers constituent désormais un des symboles de la mondialisation financière2. Les places offshore sont Il convient de souligner par ailleurs, qu’un pays qui re- souvent assimilées aux paradis fiscaux. Néanmoins nonce à une recette fiscale, ne le fait pas pour rendre il est important de ne pas faire l’amalgame entre ces service aux contribuables mais le plus souvent pour ré- deux notions même si la majorité des centres offshore soudre une difficulté économique liée dans la majorité sont des paradis fiscaux. En revanche, tous les paradis des cas, à un problème de développement ou à un fiscaux ne sont pas des centres offshore. Un paradis handicap structurel, une situation géographique dé- fiscal est fondé sur le différentiel d’imposition entre les favorable ou des ressources naturelles insuffisantes.
Etats. A l’inverse des centres offshore, il peut mais n’est pas tenu d’offrir une gamme de services financiers.
Cela pousse certains pays à devenir des paradis fiscaux et à alléger leur fiscalité pour compenser les handi- Les centres offshore sont des pays ou des territoires of- frant d’un côté une réglementation des activités finan- cières nationales, qualifiées « d’onshore », et de l’autre, Tout jugement sur les paradis fiscaux doit prendre en une réglementation des activités financières interna- compte les liens qui les unissent à un système écono- tionales dites « offshore ». Les capitaux sont empruntés mique global, qui implique la circulation du capital à grande échelle en vue de sa rentabilisation, et les 2. La moitié de la masse monétaire mondiale transite par leur inter- motifs qui poussent certains pays à mener des stra- à des non-résidents pour être ensuite prêtés à d’autres Ces petites économies se servent directement de non-résidents. Les transactions n’impliquent pas la la vente de droits d’enregistrement et indirecte- monnaie locale. Les banques et autres institutions fi- ment des offres d’emplois provenant des activités nancières assurent le rôle d’intermédiaire. Le paradis fiscal vise quant à lui à éluder l’impôt ou à instaurer des Ces pays n’ont en général pas ou peu conclu de conventions fiscales pour éviter les doubles impo- La notion de paradis fiscal n’a qu’une valeur relative, sitions. Ces paradis fiscaux sont souvent des co- d’où la difficulté de dégager une définition unique et lonies britanniques, de territoires dépendants du universelle caractérisant ce phénomène. A titre d’il- Commonwealth ou des territoires indépendants. lustration, l’administration française entend qu’il y a Anguilla, les Bahamas, les Bermudes, les Iles Caï- présomption de régime fiscal privilégié lorsque l’impo- mans, les Iles Turques et Caïques, le Vanuatu, la sition est inférieure d’au moins un tiers à celle qu’aurait Principauté de Bahreïn rentrent dans cette caté- supporté le bénéficiaire en France sur la même base 2. Les pays à faible niveau d’imposition ou établis A défaut de définitions précises, de nombreux auteurs sur une base territoriale restreinte comprennent et spécialistes ont isolé un faisceau de caractéristiques principalement, le Liechtenstein, la Suisse, Jer- sey, Guernesey, Gibraltar, Chypre, Malte, l’Ile de L’absence ou le faible niveau d’imposition, Trois sous catégories peuvent être distinguées4. Une monnaie stable et l’absence de contrôle des La première concerne les pays dans lesquels l’im- position « de droit commun » correspond à un impôt sur les bénéfices dont le taux est réduit. Ces pays ont pour principal objectif d’attirer l’investis- sement étranger afin de contribuer au dévelop- Le secret bancaire financier et commercial, pement économique du pays. La deuxième inclut les pays dans lesquels l’imposition correspond à un impôt de substitution annuel. Ce dernier va Une stabilité politique et économique.
pallier l’absence d’un impôt sur les bénéfices et Chaque paradis fiscal respecte certains critères qui conduit à une faible imposition sur les personnes vont le spécialiser dans l’accueil de telle ou telle forme morales. La dernière regroupe les pays où l’impo- d’investissement. Le classement des pays à fiscalité pri- sition des sociétés offshore est très avantageuse. vilégiée dépend des avantages fiscaux qu’ils sont prêts Dans cette dernière catégorie, les impôts ne sont à offrir. Ces derniers résultent des législations internes prélevés que sur les activités internes et sont nuls ou des traités fiscaux signés avec les autres pays.
ou très faibles sur les profits générés par les activi- Il y a autant de législations qu’il y a de paradis fiscaux. Trois types peuvent être sommairement distingués.
3. Les pays accordant des privilèges fiscaux à cer- taines entreprises ou activités regroupent : le 1. Les Etats ou territoires à fiscalité nulle se caracté- Luxembourg, Monaco, les Antilles néerlandaises, risent par l’absence d’impôt sur le revenu des per- sonnes physiques ou morales, de droits de suc- cession et de l’impôt sur le capital. Les entreprises Le détail des privilèges fiscaux offert par ces dif- étrangères ne paient qu’un droit d’enregistre- férents pays excède le champ du présent article. Seuls certains exemples seront cités au fil des dé- veloppements à des fins d’illustration.
3. Cf. Pierre ESCAUT, « Paradis fiscaux : typologie et risques d’utilisa- 4. Thierry LAMORLETTE, « Stratégies fiscales internationales, Ed. Il importe toutefois de noter les disparités de leurs sys- différentiés et la prédominance des impôts indirects. tèmes fiscaux malgré des niveaux de développement Cette structure particulière offre la possibilité de dissi- similaire. Il convient donc de s’attacher aux spécificités muler les revenus des résidents des autres pays ou de de leur structure fiscale qui constituent le plus puissant les faire taxer à un taux inférieur.
ressort de leur expansion économique et nous éclai- Aussi, à la question de savoir quels sont les motifs qui rent sur les motifs qui les conduisent à mener des stra- les conduisent à adopter une telle ou configuration fiscale, il est possible de répondre en mettant en avant 1.2. L’orientation générale du système fiscal des • Le premier résulte des liens formels et de traditions qui unissent les paradis fiscaux et les centres offshore Il existe plusieurs types d’impôts. La classification fon- à certaines grandes puissances. Les paradis fiscaux dée sur le critère de l’incidence fiscale oppose l’impôt sont souvent des dépendances, des colonies, des direct à l’impôt indirect. L’impôt est dit direct lorsqu’il anciennes colonies ou sous la protection d’un ou de est supporté par le contribuable redevable. Il peut être plusieurs grands pays. Cela leur permet de se com- directement acquitté par les contribuables dont l’iden- porter comme des « passagers clandestins » (au sens tité est connue par les services fiscaux ou bien réglé d’Alchian) et de bénéficier des dépenses publiques de par un prélèvement à date fixe sur les ressources ou le ces grands pays. La défense et la création monétaire patrimoine des contribuables. Il comprend l’impôt sur sont souvent assurées par les pays protecteurs ce qui le revenu, l’impôt sur les sociétés ou l’impôt de solida- favorise la réduction des dépenses publique et la di- minution des taux de pression fiscale dans les paradis Les deux critères d’évaluation de l’impôt sont l’équité fiscaux. De plus, ces derniers ne supportent que de fai- et l’efficacité économique. Le choix des structures fis- cales se justifie largement par les objectifs retenus. Un En premier lieu, la taille réduite de la population n’inci- gouvernement sensible à l’équité retiendra une impo- te pas le gouvernement à réaliser des investissements sition directe et allégera surtout le coût des cotisations dans le secteur éducatif. En second lieu, les multinatio- fiscales. Inversement, la recherche d’efficacité peut nales jouent un rôle non négligeable dans la forma- conduire à une répartition en faveur de l’imposition tion de la population locale. Les salariés sont souvent formés au sein des multinationales qui leur donnent L’impôt n’est pas neutre puisqu’il amène les agents à l’occasion de s’ouvrir à l’informatique et autres outils modifier leurs choix économiques. L’impôt est distorsif. de hautes technologies sans que le paradis fiscal n’ait Certaines taxes sont plus redistributives que d’autres. à les financer.
Elles peuvent également être incitatives ou désincita- Il en résulte, que le poids des plus importantes dépen- tives. Chaque type d’impôt a ses propres caractéristi- ses publiques dans le budget des paradis fiscaux est ques. La combinaison des différents types d’impôt et le minimisé. La configuration de leur système fiscal se poids attribué à chaque groupe de taxes déterminent caractérise par le financement le plus neutre écono- la nature du système fiscal. Les gouvernements en gé- miquement de dépenses publiques les plus basses néral, et les paradis fiscaux en particulier déterminent le système fiscal en fonction de l’objectif qu’ils se sont fixé. Cet objectif va dépendre de la situation écono- • Le deuxième élément découle de la faible superficie mique, politique et géographique du pays. Un pays du paradis fiscal et de sa faible taille mesurée en terme renonce à une recette fiscale pour résoudre le plus de population. En effet, ce type de pays peut dégager, souvent une difficulté économique.
malgré un taux d’imposition inférieur, le même volu- me de recettes fiscales qu’un autre pays avec un taux L’observation des différents régimes fiscaux des pa- radis fiscaux permet de constater une configuration atypique de leur système d’imposition caractérisée par une fiscalité directe clémente, des taux d’imposition Hines et Rice5 ont expliqué que l’avantage qui permet coûts d’encombrement. Les activités financières, de aux paradis fiscaux d’offrir une fiscalité allégée, résulte banques, d’assurances et de services ainsi que les so- du faible capital productif dont dispose ces petits pays ciétés boite aux lettres sont pour cette même raison par rapport à celui existant sur le marché mondial ainsi très répandu dans ces petites économies.
que de la faible élasticité de l’offre du capital produc- Dans ce contexte, les paradis fiscaux vont avoir re- tif sur ce marché. Le rapport entre la production du cours à deux outils de sélection des activités et des pays qui est la source de base taxable à l’impôt sur les entreprises désirées s’inscrivant dans la même ligne sociétés et la production mondiale est plus faible pour de mesures d’incitations fiscales et de développement. un petit pays que pour un grand. Le taux d’imposition D’une part, la politique de discrimination fiscale qui optimal pour les paradis fiscaux doit être faible et relié consiste à taxer différemment la population locale positivement à la faible de la population.
et la population immigrée. Les entreprises locales ne Le modèle de Kanbur et Keen6 se situe dans la même sont pas soumises aux même taux d’impositions que logique puisqu’il démontre qu’en cas d’asymétrie en les multinationales ou les sociétés offshore. D’autre taille, le plus petit pays possédant une faible concen- part, la prééminence de la fiscalité indirecte et plus tration domestique de base taxable offre toujours un particulièrement des droits de douanes. Ces derniers taux strictement inférieur à celui du grand. Les auteurs constituent pour ces pays un instrument leur permet- précisent que ce résultat s’applique surtout au cas des tant d’orienter la nature des structures productives. paradis fiscaux caractérisés par leur étroitesse.
Les modèles de Levinsohn et Slemrod8 vont dans ce sens puisqu’ils montrent que la TVA est d’application Aussi, convient-il de remarquer, que dans la logique de générale et uniforme alors que le droit de douane est la « théorie de l’avantage comparatif » de Ricardo cha- sélectif. Il permet de taxer différemment les firmes inté- cun se spécialise dans le domaine ou il est relativement le plus doué même s’il n’a pas un avantage absolu à le faire. La bonne spécialisation consiste à valoriser des Ces pays appliquent des tarifs à l’import et à l’export « avantages comparatifs » largement déterminés par plus élevés pour les firmes non désirées. Il permet no- la dotation factorielle du pays. Le paradis fiscal n’a pas tamment de subventionner une firme interne sans un « avantage comparatif » mais un « avantage ab- subventionner sa filiale à l’étranger. La facilité de col- solu » à offrir un service fiscal à moindre coût que ses lecte de l’impôt indirect, la difficulté de le frauder et concurrents. Il a donc intérêt à protéger et à conserver son caractère indolore lui confère une place impor- son système d’attraits fiscaux. Selon Patrice Pieretti : « tante dans le système d’imposition de ces pays.
le scénario d’une harmonisation parfaite des taux de Dans la définition de leur structure fiscale, les paradis fiscalité indirecte au niveau de l’Union européenne fiscaux privilégient l’efficacité stratégique relativement entraînerait pour le Grand-Duché la fermeture de à l’équité économique. Du fait des dépenses budgé- 41% des stations-service ainsi que la baisse de 36% du taires allégées dont ils bénéficient, pour les raisons évoquées ci-dessus, ils se servent de l’impôt essentiel- Par ailleurs, l’exiguïté de leur territoire fait que certai- lement pour influencer le comportement des agents nes activités s’intègrent mieux que d’autres dans les afin de remédier à un handicap structurel inhérent au pays comme une situation géographique défavora- ble, une étroitesse du territoire ou des ressources na- Les activités immatérielles occupent très peu d’espa- turelles insuffisantes et ainsi de favoriser la croissance ce et génèrent des revenus imposables avec peu de et le développement.
5. James R. HINES, Jr., et Eric M. RICE, « Fiscal Paradise : Foreign Tax Havens and American Business », Quarterly Journal of Economics, Ils opèrent selon le type d’impôt un effet de dissuasion N° 109, pp. 149-182, février 1994.
ou d’incitation contribuant à la production d’externa- 6. R. KANBUR, M. KEEN, « Jeux sans Frontières : Tax Competition and Tax Coordination when Countries differ in Size », The Ameri- lité positive augmentant le bien-être économique du can Economic Review, Vol. 83, N° 4, pp. 877-892, september 1993 paradis fiscal. Si les multinationales bénéficient d’une 7. Patrice PIERETTI, « Déterminants externes d’une très petite économie ouverte : fiscalité indirecte et commerce frontalier, croissance et apports externes de facteurs, dépendances aux prix étrangers du secteur exportateur », thèse de doctorat à l’Institut 8. J. LEVINSOHN et J. SLEMROD, « Taxes, Tarrifs and Global Corpo- d’Etudes Politiques de Paris, pp.6, 1998.
ration », Journal of Public Economics, 51, pp. 97-116, 1993.
offre fiscale incitative, c’est parce qu’elles permettent la de type Nash. Les paradis fiscaux apparaissent donc diffusion du progrès technique essentiel au dévelop- comme un facteur de distorsions économiques puis- pement, sans coût pour le paradis fiscal.
qu’ils sont susceptibles de biaiser la répartition de la charge de l’imposition entre le facteur travail immobile Les paradis fiscaux vont en fonction de leurs condi- et le facteur capital mobile. En effet, pour éviter la fuite tions et de ce qu’ils peuvent offrir, se spécialiser en des capitaux, la délocalisation des activités productives, personnes physiques, morales ou rester mixte. Dans la et la fraude fiscale, les Etats seraient incités à modérer logique de la théorie de l’incidence fiscale et la « loi de les prélèvements fiscaux. Ce risque de désescalade fis- Dalton », c’est la sensibilité du contribuable qui prési- cale portera essentiellement sur les éléments les plus dera au choix des biens taxés et permettra au gouver- mobiles de la matière imposable tels que les revenus nement de répartir les charges fiscales en fonction des du capital, c’est-à-dire : les revenus de l’épargne et du bénéfice des sociétés. Il en résulte une charge fiscale Les paradis fiscaux instaurent donc leur taux d’impo- sition en fonction de l’élasticité de la production pour Les ménages, les entreprises et les multinationales les firmes et de l’élasticité de résidence pour les particu- ont de plus en plus la possibilité de choisir le lieu de liers par rapport à la fiscalité. Lorsque l’élasticité d’une production, d’investissement et de travail en prenant catégorie de postulants est faible, la spécialisation s’im- la variable fiscale comme critère de choix. Cette der- nière ne constitue, néanmoins, pas l’unique variable A travers cette analyse, le paradis fiscal est perçu com- déterminante des investissements directs et de la loca- me un enjeu stratégique usant de choix industriels lisation industrielle puisque d’autres facteurs rentrent courants et se comportant le plus souvent comme un en jeux tels que les coûts de production, les coûts monopole discriminant vis-à-vis de ses adeptes. Par ses salariaux, la volonté de pénétrer certains marchés et jeux de stratégies, il constitue un vecteur de concur- la concurrence. Les stratégies de délocalisation répon- rence entre les systèmes fiscaux des différents pays. dent à une logique de concentration horizontale qui C’est sur cette donnée essentielle qu’est construit le signifie concentration d’une production dans un lieu géographique précis dans le but de conquérir les mar- chés locaux. Ces stratégies peuvent correspondre au désir de s’ouvrir aux nouvelles technologies9. De plus 2. Les paradis fiscaux et les contraintes l’impôt sur les sociétés n’est pas l’unique impôt qui pèse sur les entreprises. Cependant, ainsi que le remar- Les paradis fiscaux caractérisés par une fiscalité quasi que Annie Vallée, il reste celui qui se prête le mieux inexistante et une opacité juridique et administrative, au rôle d’instrument de politique capable d’attirer et offrent aux agents économiques la possibilité de jouer sur les différents systèmes fiscaux entre Etats et sur les Elle précise que « l’importance relative de la fiscalité va- avantages offerts par les conventions fiscales pour ré- rie donc selon les fonctions concernées, selon la straté- duire leurs impôts. Cela peut provoquer une dynami- gie de l’entreprise, et aussi selon le moment considéré ; que de concurrence fiscale dommageable dénoncée les variables fiscales pourront par exemple prendre une importance particulière à certains moments bien précis de la vie d’une entreprise, lors d’une fusion-acquisition, 2.1. Les paradis fiscaux comme vecteurs de con lors d’une transmission. Les causes d’une implantation étrangère peuvent être ponctuelles et traduire un cer- La concurrence fiscale dommageable est à l’origine de quatre phénomènes : la délocalisation, la désescalade, La fiscalité qui joue également un rôle structurant sur 9. Cf. E.M. MOUHOUD, « Délocalisations dans les pays à bas salaires Une large partie de la littérature économique montre et contraintes d’efficacité productive », Revue Monde et développe- que la concurrence fiscale, attisée par ces pays, con- 10. A. VALLEE, « Les systèmes fiscaux », Ed. du seuil, pp. 176, sep- duit le plus souvent à des équilibres non coopératifs tembre 2000.
la composition de portefeuilles d’actifs n’est pas non réduisent les délocalisations. Ces théories permettent plus l’unique élément qui détermine l’avantage net en de nuancer les risques que peuvent engendrer les pa- termes de rendement après impôts. D’autres facteurs radis fiscaux au sein de l’UE. A titre d’illustration, citons plus difficiles à mesurer entrent en ligne de compte la nouvelle théorie des investissements en environ- tels que l’existence de conventions fiscales internatio- nement incertain11. Elle permet d’expliquer l’absence nales, le risque lié aux variations des taux de change, de la désescalade fiscale par la prise en compte de la présence d’intermédiaire à rémunérer, l’accès à l’in- l’incertitude dynamique sur l’horizon de vie de l’inves- formation et la disponibilité plus ou moins rapide des tissement. Les paradis fiscaux ne constituent pas une actifs mobiliers. Ces éléments tempèrent la délocalisa- menace potentielle contre les pays normaux de l’UE puisque la réalisation de l’arbitrage fiscal de localisa- tion n’implique pas nécessairement que les entrepri- Pour éviter la fuite des capitaux, la délocalisation des ses vont se localiser dans le paradis fiscal qui pratique activités productives, et la fraude fiscale, les Etats se- raient incités à modérer les prélèvements fiscaux. Pour pallier ce risque de délocalisation des activités, des re- Ce n’est pas le niveau du taux qui va déterminer le venus et des achats et pour freiner l’érosion des bases choix de la localisation mais surtout son degré de sta- d’imposition, les Etats vont se livrer à « une course vers bilité et de certitude. Les entreprises vont préférer le pays qui pratique un taux élevé mais stable et faible- ment incertain au paradis fiscal qui pratique un taux Dans les faits, la concurrence fiscale en matière de bas mais plus instable et plus incertain.
taxes indirectes et plus précisément dans le cas de la TVA, reste réduite au sein de l’Union européenne. Elle Il est également possible de pousser ce raisonnement provient essentiellement de la mobilité du consomma- et de montrer, grâce à la nouvelle économie géogra- phique12, qu’un relèvement du taux de taxation des revenus du capital peut constituer un facteur d’attrac- En matière d’imposition des revenus du capital, l’inves- tivité pour la localisation des firmes.
tisseur a la possibilité de réaliser un arbitrage fiscal de localisation, ce qui stimule la concurrence. En effet, la structure industrielle des pays à pression fis- cale élevée et les équipements collectifs sont à l’origine La désescalade fiscale s’est observée en Europe dans d’externalités dont les effets peuvent contrecarrer le le cadre de l’imposition de l’épargne. Dans ce cas, l’ar- mouvement de délocalisation des activités vers le pa- bitrage est facilité par la mobilité du capital financier, le radis fiscal. L’augmentation de l’impôt sur les bénéfices secteur bancaire et l’absence ou l’inefficacité des systè- favorise le financement des infrastructures publiques mes d’échange d’information. Toutefois, le risque de dont les services améliorent la compétitivité des firmes. délocalisation de l’épargne n’est pas élevée. L’auteur précise que « ces équipements collectifs sont En effet, l’épargne des ménages est essentiellement à l’origine d’extenalités pécuniaires dont les effets sont constituée de biens immobiliers, des contrats d’assu- susceptibles de contrecarrer le mouvement de délo- rance-vie et d’épargne logement. Les placements sous calisation des activités vers le pays caractérisé par un forme de liquidités ou de valeurs mobilières, suscepti- taux de prélèvement inférieur »13. Cette force centri- bles d’être délocalisés ne forment qu’une faible part pète, qui traduit l’augmentation de la base fiscale du pays d’accueil induite par la mobilité du capital, est à l’origine de la concentration des activités industrielles. Une désescalade fiscale n’a pas non plus été observée Cependant, la force centrifuge qui exprime les coûts en matière d’imposition des sociétés à l’exception de de concentration industrielle résultant de phénomè-l’Autriche, la Suède et la Finlande. Les délocalisations n’ont donc pas été suffisamment importantes pour in- 11. Pour un approfondissement de cette théorie et la modélisation citer le pays à réduire la fiscalité des sociétés.
de l’incertitude, voir : D. Janssen, « Analyse stochastique de l’inté-gration fiscale en Europe » thèse de doctorat, Paris I, 1996.
Plusieurs théories corroborent ces affirmations et indi- 12. Voir à ce sujet : RIEBER A., « Intégration régionale, mobilité du capital et concurrence fiscale », Economie Internationale, La Revue quent l’existence de certains mécanismes correcteurs qui tempèrent les pressions à la baisse de la fiscalité et nes de congestion, peut intervenir. Les effets de con- ne la reconnaîtra, à part la Turquie continentale. Le 23 gestion provoqués par la concentration des activités avril 2003 le « mur » qui sépare les Chypriotes turcs engendrent des déséconomies d’agglomération qui des chypriotes grecs depuis près de trente ans a été réduisent l’attractivité du pays centre. Afin de recher- ouvert. Ainsi, les deux communautés sont réunifiées cher d’autres avantages, les firmes peuvent être ten- tées de se localiser dans le paradis fiscal.
Suite au référendum qui s’est déroulé le samedi 24 A ce stade de l’analyse, il convient de noter que la con- avril, à Chypre, 75,5% des chypriotes grecs se sont pro- currence fiscale qui suscite des réserves de la part de la noncés contre le plan de la réunification de l’île.
commission européenne et qui est dénoncée par les Par conséquent, seule la partie Sud a adhérée le 1er opposants aux paradis fiscaux se retrouve néanmoins mai à l’UE. L’analyse ne tiendra compte que de cette sous d’autres formes au sein des économies. C’est le partie qui est la seule à offrir des privilèges fiscaux.
cas notamment des divergences de fiscalité locale : certaines communes exercent une véritable concur- Depuis la loi numéro 37 de 1975, autorisant l’installa- rence fiscale en instaurant des taxes locales incitatives tion des sociétés offshore à Chypre et leur accordant pour stimuler la mobilité spatiale des entreprises. C’est des privilèges et des incitations fiscales, l’île est considé- le cas de la taxe professionnelle pour les entreprises rée comme un paradis fiscal. L’infrastructure de l’île est ou des impôts locaux de type taxe d’habitation pour satisfaisante, le secret bancaire est respecté, bien qu’il n’y ait pas à proprement parler de législation le con- cernant. Le secret commercial est également assuré. A cette concurrence fiscale locale s’ajoute tout un jeu Les actionnaires sont protégés par le secret total.
de stratégies pour inciter les entreprises à s’installer dans une zone géographique: réductions d’impôts, Le pays bénéficie d’un vaste réseau de traités fiscaux guerre commerciale fiscale entre communes. De tel- de double imposition. La situation économique de les pratiques sont très proches des effets dénoncés du Chypre est encourageante. Le Sud de l’île était plus point de vue des paradis fiscaux mais se situent à une pauvre que le nord avant l’invasion turque. Pourtant, autre échelle spatiale : la concurrence fiscale au ni- il s’est vite redressé et a attiré de nouvelles activités grâ- veau de l’UE est-elle plus condamnable que la guerre ce à sa politique d’attraits fiscaux. En ce qui concerne la situation politique, depuis le partage du territoire, le pays et particulièrement la zone Sud, a connu un La remise en cause du statut d’imposition des paradis calme, une sécurité et une stabilité politique que seuls fiscaux semble être l’orientation choisie par l’UE. La ré- les événements de 1996-1997, très vite maîtrisés, ont forme du statut fiscal privilégié de Chypre à la veille de son adhésion à l’UE constitue un exemple édifiant. 2.2.1. La réforme de leur système fiscal attractif Toutefois, face à une pression excessive, les paradis fis- caux n’auront d’autre voie que celle de la récession. Chypre était considérée au départ comme un paradis Cela posera à terme un problème de fond, celui de fiscal pour les personnes morales. Aujourd’hui, elle est la compensation en termes d’aide et de subventions de plus en plus utilisée par des personnes physiques qu’ils ne manqueraient pas de réclamer. Ces subven- qui y trouvent des avantages évidents. Elle attire es- tions pèseront sur le budget européen.
sentiellement les retraités et les écrivains anglo-saxons, compte tenu des traités signés avec les Etats-Unis, la 2.2. Le système de privilèges fiscaux chypriote Grande-Bretagne et l’Australie qui excluent toute re- Chypre est une petite île de 9 251 km² située dans le Les retraités bénéficient du taux de 5% sur leur revenu bassin méditerranéen au carrefour de l’Europe, de d’origine étrangère après franchise de 2 000 livres l’Asie et de l’Afrique. Le conflit opposant les Chypriotes turcs aux chypriotes grecs a provoqué la partition de Les écrivains, les résidents étrangers, retraités ou actifs, l’île en 1974. En novembre 1983, une « République voient leurs royalties considérées comme « revenu turque du Nord de Chypre » est proclamée. Personne Ainsi, les autorités chypriotes ont adopté des mesures14 de mieux appréhender les changements majeurs de permettant aux particuliers d’investir à Chypre, en leur leur structure fiscale qui ont permis au pays d’adhérer garantissant des droits et en leur offrant des avanta- Les sociétés offshore sont le pilier du système. Elles rap- De ce fait mais aussi grâce aux traités de non-double portent à l’économie du pays environ 200 millions de imposition, Chypre a permis à bon nombre d’étran- gers de fixer leur domicile dans l’île, sans pour autant Le parlement chypriote a adopté, en 2002, une nou- être obligés d’avoir une société ou une activité régu- velle législation fiscale qui est entrée en vigueur le pre- mier janvier 200316. Cette nouvelle loi a été adoptée Les étrangers peuvent participer directement à la vie dans l’objectif d’harmoniser la législation chypriote économique chypriote, dans le cadre d’une activité avec celle de l’Union. Elle a principalement réorganisé « onshore » normale et venir s’installer dans ce pays. le secteur offshore. En effet, les sociétés « onshore » bénéficient de fait Avant de confronter l’ancien système au niveau, il con- d’un taux d’imposition plus attrayant que celui adopté vient de mentionner quelques types d’entités offshore dans d’autres pays européens. Le taux de l’impôt sur particulières : Les « offshore banking units » (OBU) ou le bénéfice est de 20% pour les sociétés chypriotes « les unités bancaires offshore ont été autorisées depuis 1978. Ce sont des personnes morales crées locale- En fonction de cet investissement, l’étranger pourra se ment par des banques étrangères, ou des succursales faire prévaloir d’une résidence à Chypre (une carte de de ces banques, installées à Chypre. Elles ne font que séjour). Il peut aussi se faire prévaloir d’une résidence des opérations offshore, c’est-à-dire avec des non-rési- fiscale à Chypre en optant pour la création d’une so- ciété « offshore » et en se faisant salarié par cette der- La croissance rapide de ce type d’activités, avec 26 banques étrangères ayant obtenu l’autorisation ban- Grâce aux traités de non-double imposition que Chy- caire, peut s’expliquer par le fait que Chypre est mem- pre a signé avec plus d’une vingtaine de pays, notam- bre de « l’Offshore Group of Banking ». Ce dernier est ment de l’Union européenne, les étrangers domiciliés un club de 18 centres offshore qui inclut Hong Kong, à Chypre bénéficient d’un allégement fiscal considéra- ble par rapport à leur pays d’origine.
Les compagnies maritimes : l’île occupe la septième Ainsi, ceux qui optent pour une résidence avec le sta- place du monde en tant que nation maritime. Le régi- tut de salarié d’une société « offshore » chypriote, ils me fiscal avantageux adopté par le gouvernement, la seront assujettis à 10% d’impôt sur le revenu (sur le sa- ratification par l’île d’un nombre important de conven- laire perçu). L’ensemble des autres revenus de source tions maritimes internationales, la signature de nom- non-chypriote ne sont assujettis à aucune imposition.
breux traités relatifs à la taxation, et d’accords bilaté- raux portant sur le transport maritime, ont contribué à Les étrangers domiciliés à Chypre et exerçant une ac- la croissance rapide du nombre de navires étrangers, tivité « onshore » sont assujettis aux taux d’imposition immatriculés au registre chypriote.
appliqués aux Chypriotes. Ces taux restent très avanta- geux par rapport à ceux pratiqués dans la plupart des Un grand nombre de sociétés de gestion maritime établies dans cette île, dont deux des cinq plus gran- des mondiales, l’utilise de plus en plus comme base Les privilèges fiscaux les plus importants sont ceux ac- pour les opérations maritimes de navires battant pa- L’objet de cet article ne saurait inclure une exhaustivi- té sur les sujets de privilèges fiscaux. Un simple rappel des éléments caractéristiques du système permettra 15. « No Change in Offshore Regime », Financial Mirror, N° 176, pp. Les sociétés d’assurances captives installées générale- Comme ces dividendes seront prélevés sur des béné- ment par des groupes multinationaux n’ayant pas à fices non imposables, les dividendes ne seront pas im- faire directement aux assurances et sont utilisées pour posables entre les mains des actionnaires étrangers.
fournir de la couverture aux compagnies du groupe. Les employés étrangers des sociétés opérant dans cet- Les sociétés financières offshore sont relativement te zone sont soumis à l’impôt à un taux égal à 50% du taux normal, c’est-à-dire à des taux de 0 à 30%.
Enfin, les Trusts offshore et onshore sont tous les deux Chypre a autorisé l’installation d’usines bénéficiant du utilisés à Chypre. La « Trustee Law » de Chypre reprend régime de l’entrepôt de douane, pour les entreprises certaines parties des règles britanniques. Lorsque la loi exportatrices. L’usine peut être installée n’importe où chypriote ne fournit pas certaines réponses, c’est la ju- et avoir un meilleur accès aux matières premières, tout risprudence anglaise qui est appliquée.
en bénéficiant de salaires plus bas. Cependant, les ma- La distinction principale entre l’onshore Trust et l’offs- chines et les équipements ne sont pas souvent exoné- hore Trust réside dans la notion de non-résident que l’offshore Trust devra remplir. Par conséquent, l’offsho- En vue de son adhésion à l’UE, les autorités chypriotes re Trust bénéficie d’un meilleur traitement fiscal que on ainsi adopté certaines mesures en accord avec le l’onshore Trust. Il est aussi complètement dispensé du code de bonne conduite de l’UE afin d’éviter la con- contrôle des changes habituel, et joue un rôle dans la currence fiscale dommageable. Afin de ne pas créer planification internationale de l’impôt.
une panique et une mise en cause brutale du système La législation spécifique aux Trusts offshore permet établi depuis presque deux décennies, des mesures aux « settlors » non-résidents de désigner des « bénéfi- provisoires sont prévues par la nouvelle loi fiscale. ciaires » non-résidents sur des biens de « Trust » situés à Ainsi, à partir du 1er janvier 2003, il n’existe plus de l’extérieur du territoire chypriote, gérés par ces disposi- différence entre les sociétés « onshore » et les sociétés tions législatives identiques à celles adoptées en Gran- « offshore ». Ces dernières sont d’ailleurs désignées par de-Bretagne relativement aux « Trusts ». Néanmoins, « sociétés d’affaires internationales »17. Elles peuvent à la différence des « Trusts », établis au Royaume-Uni, désormais entamer des activités avec des Chypriotes les « Trusts offshore » chypriotes permettent aux « bé- et avoir des revenus d’origine chypriote.
néficiaires » d’être exemptés de taxation sur le capital Cette nouvelle législation est une combinaison des et le revenu avant ou après la distribution des avoirs deux anciens types de sociétés et donne la possibilité à tout étranger de détenir la totalité des parts d’une Par ailleurs, en 1983, le gouvernement chypriote a société chypriote.
créé la zone franche, située à 10 km de l’aéroport in- L’IS prélevé sur le bénéfice de toute société « résidente » Les sociétés opérant dans cette zone peuvent y impor- Ainsi, cette nouvelle loi fait état de deux nouveaux ty- ter sans droits de douanes les matériaux de construc- pes de sociétés : celles qui seront considérées comme tions, les machines et les équipements nécessaires à résidentes et celles qui le ne seront pas.
leur installation et à leur production.
Le critère qui permet de qualifier la « résidence » d’une Ces sociétés peuvent vendre sur le marché local, mais société concerne : la direction et le contrôle effectifs de leurs produits seront traités comme ceux importés.
la société à partir du territoire chypriote. Néanmoins, la Les dividendes payés aux actionnaires des sociétés qui loi ne définit ni la « direction » ni le « contrôle » effectifs opèrent dans cette zone sont soumis à l’impôt de Chy- de la société. Cette notion de « direction et de contrôle pre calculé au plus bas des deux taux suivant : effectifs » peut impliquer que la direction de l’ensemble des activités de la société doit se faire à partir du terri- Le taux de l’impôt sur les bénéfices appliqué aux toire chypriote. Autrement dit, les décisions prises par bénéfices sur lesquels le dividende est prélevé.
Le taux de l’impôt de Chypre dû par l’actionnaire 17. International Business Companies (IBC).
le gérant ou le Conseil d’Administration de la société une personne physique « non-résidente » fiscale- doivent émaner de Chypre. Par conséquent, dans sa prise de décisions, le gérant doit être totalement indé- les personnes morales « non-résidentes » fiscale- pendant des associés non-résidents fiscalement à Chy- ment à Chypre, dont 1% de leur capital est déte- pre. Ou encore, le Conseil d’Administration doit être nu par une société « non-résidente », sont exemp- composé d’une majorité d’administrateurs résidents tées de l’impôt sur la distribution des dividendes à Chypre. Encore faut-il prouver que les décisions du Conseil d’Administration sont indépendantes de celles des associés non-résidents et qu’elles sont réellement Cette nouvelle loi permet une « réorganisation » du prises à partir du territoire chypriote.
statut des sociétés déjà existantes à Chypre, notam- ment des sociétés « offshore ». Cette réorganisation21 Selon ces nouvelles dispositions fiscales, seules les so- permet à ces dernières d’échapper aux nouvelles dis- ciétés considérées comme « résidentes », quelle que positions fiscales.
soit la nature de leurs activités « onshore » ou « offs- hore » et quelle que soit la nationalité et la résidence de leurs associés ou actionnaires, seront assujetties à Afin de ne pas affecter l’ensemble du système fiscal chypriote, et plus particulièrement le statut des socié- Une société étrangère « dirigée et contrôlée effective- tés « offshore » déjà établies à Chypre, cette nouvelle ment » à partir du territoire chypriote sera de ce fait loi fiscale prévoit des mesures transitoires22 jusqu’en imposable à Chypre. Les sociétés chypriotes ou étran- 2005, date à laquelle l’ensemble des mesures devien- gères qui ne sont pas « dirigées et contrôlées effective- ment » à partir du territoire chypriote échapperont à l’IS chypriote. Cet impôt ne s’appliquera que sur leurs Ainsi, les sociétés « offshore » établies à Chypre avant le 31 décembre 2001, quel que soit l’endroit d’où elles sont dirigées et gérées, de même que les filiales des Par ailleurs, cette loi établit, en sus de l’IS, un droit fiscal19 sociétés étrangères dirigées et contrôlées à partir du applicable aux entreprises résidentes dont le bénéfice territoire chypriote, peuvent continuer à bénéficier de annuel excède 1 million de CYP£20. Cet impôt de 1% l’ancien système fiscal23, jusqu’en 2005.
s’ajoute ainsi aux 10% d’IS. Il est néanmoins prélevé sur les bénéfices de nature commerciale, sur les revenus A cet effet, ces entités doivent opter expressément procurés par les intérêts sur le capital, la location de pour le maintien de ce statut jusqu’en 2005, d’une biens immobiliers dont la société est propriétaire et les manière irrévocable. Par conséquent, elles doivent res- royalties. Ce droit fiscal sera prélevé uniquement en pecter les conditions requises pour l’exercice de leur Enfin, grâce aux nouvelles dispositions fiscales, l’en- Dans ce cas, la distribution des dividendes ainsi que semble des sociétés sont exemptées de l’impôt sur la la cession de parts considérée comme procurant un distribution des dividendes, avec toutefois les préci- revenu à la société sont assujettis à l’impôt chypriote de 4,25% sur l’ensemble des bénéfices.
un droit de 15% est prévu au cas où des dividen- Ainsi, ces mesures transitoires sont avantageuses pour des d’une société non imposable à Chypre se- les sociétés « offshore » dont le revenu provient princi- raient versés à une personne physique résidente palement de leur activité commerciale. En revanche, à Chypre. Par conséquent, les sociétés « résiden- les nouvelles mesures adoptées par la nouvelle loi fis- tes » fiscalement à Chypre sont exemptées de ce cale de 2002 privilégient les sociétés « offshore » dont droit. Il en est de même des dividendes versés à 21. On entend par « réorganisation », l’adoption d’un nouveau statut reconnu par « l’acquis communautaire ».
22. Section 46 de la loi L 118 de 2002 : « Grandfathering clause ».
18. Section 5(2) (a) de cette loi, op.cité.
23. Taux d’IS à 4,25% avec les exceptions examinées dans les déve- 24. Voir ces conditions dans les développements précédents.
le principal de leur revenu provient de la distribution bien qu’elles soient au niveau du taux de l’IS, affecte les de dividendes25, compte tenu des avantages que cet- privilèges qui faisaient de Chypre, depuis presque 20 te nouvelle loi offre dans ce domaine26.
ans, un paradis fiscal, et qui contribuaient en grande partie à la prospérité et au développement économi- Enfin, cette nouvelle loi fiscale prévoit des mesures que de l’île. Porter atteinte au système fiscal privilégié d’exemption fiscales à l’ensemble des sociétés chyprio- de Chypre revient à menacer sa prospérité économi- tes pendant la période de leur restructuration. Cela que, son développement et favorise la pauvreté. Ce leur permettra de s’accommoder avec les nouvelles processus a des conséquences économiques néfastes dispositions en rapport avec l’acquis communautaire, notamment au niveau de l’inflation, du niveau de vie jusqu’en 2005. Ces exemptions concernent aussi bien et des coûts de productions affectés par une TVA de l’IS, l’impôt sur la distribution des dividendes que la 15%.
En intégrant l’UE, ce pays court le risque de perdre Pour clore, il nous reste encore à appréhender l’inci- son système fiscal privilégié. Mais il n’en demeure pas dence de cette réforme sur l’avenir du paradis fiscal moins que les traités de non double imposition signés chypriote. L’île est donc un petit pays et possède, rela- avec plus d’une vingtaine de pays restent toujours en tivement, peu de ressources naturelles. Son industrie vigueur. Ils offrent ainsi la possibilité aux étrangers, no- est considérée par la Banque Mondiale comme pré- tamment aux ressortissants des pays de l’Union, d’op- sentant des déficiences importantes, tant du point de ter pour une résidence à Chypre pour profiter des al- vue de la technologie employée, de la qualification de légements fiscaux, notamment au niveau de l’IS (10% la main d’œuvre que de la qualité de la production. En depuis janvier 2003) ainsi qu’au niveau de l’impôt sur revanche, le secteur des services, en particulier celui la distribution des dividendes.
du tourisme et les services financiers est développé. Le pays offre un certain nombre de privilèges fiscaux qui Ces traités permettent également aux sociétés « rési- attirent les investisseurs étrangers et qui lui permettent dentes » fiscalement à Chypre de déduire de leur four- de développer son économie. L’île doit, en effet, en- chette d’imposition à Chypre le montant de l’impôt courager les investissements directs étrangers qui, par qu’elles auraient réglé dans un autre pays, signataire l’apport du capital, entraînent une hausse de la capaci- avec Chypre d’un traité de non double imposition28.
té de production, améliorent la compétitivité des pro- Il faut donc espérer le maintien de ces traités, notam- duits locaux et encouragent le transfert de technolo- ment avec des pays de l’Union, ce qui permettra à des gie, ainsi que l’acquisition de nouvelles compétences.
sociétés d’opter pour une domiciliation et d’une acti- Chypre peut donc se développer et avoir accès aux vité réelle à Chypre, du moins partielle, pour profiter technologies modernes, en attirant les investisseurs des allégements fiscaux mais aussi des allégements étrangers. Cependant, ces derniers sans des condi- sociaux (le montant des charges sociales étant plus tions fiscales privilégiées, n’ont aucun intérêt à s’ins- avantageux à Chypre que dans la plupart des pays de taller dans ce petit pays dont l’étroitesse du marché l’Union).
entraînerait l’exportation des «outputs» et l’importa- Enfin, le maintien de ces traités permettra aux parti- tion des «inputs», source de coûts de transport inutile. culiers de bénéficier des avantages fiscaux, dans le Chypre gagnerait à développer encore plus son sys- cadre d’un « Trust » établi et géré par un « Trustee » tème de privilèges fiscaux afin de maintenir sa stabilité L’ensemble des mesures adoptées par Chypre à la L’adhésion de Chypre à l’UE amène cette dernière, veille de son adhésion définitive à l’Union ont certes dans sa lutte contre les paradis fiscaux, à faire pression porté atteinte, du moins psychologiquement, au sta- sur l’île et sur son système de privilèges fiscaux. En effet, tut fiscal privilégié renforcé par les avantages pratiques l’ensemble des mesures et réformes fiscales adoptées, que ce pays offre aux sociétés et aux particuliers. Mais 25. Il s’agit principalement de cas de sociétés « offshore », filiales de il faut espérer que, tout en restant dans l’Union, cette 26. Voir ces avantages dans la section précédente.
île pourrait réaménager un système « offshore » à l’ins- des contrats que les promoteurs et les opérateurs du tar de la City à Londres, totalement exclu du système projet doivent passer avec leurs créanciers et débi- imposé par les « acquis communautaires ».
teurs. Ces contrats de concession, de travaux, d’exploi- tation, d’achat-vente de produits-services, de crédit, Enfin, il faut aussi espérer que Chypre pourrait tirer un d’assurances…, contribuent soit à la répartition, soit à avantage de cette adhésion en attirant des investis- la mutualisation (« l’affectio projectis ») des risques et seurs (des sociétés et des particuliers) des pays du Pro- des intérêts des acteurs du projet , mais ils permettent che et du Moyen-Orient soucieux de mettre un pied également aux promoteurs de réduire les pressions fiscales (directes et indirectes) et sociales pesant sur certains projets (les rendant parfois possibles dans le 3. Le statut de paradis fiscal : un outil Les sponsors des projets internationaux sont sou- mis à des contraintes fiscales croissantes en fonction de leurs niveaux d’engagement dans le pays-cible. « 3.1. Les paradis fiscaux : leviers de l’ingénierie L’optimisation fiscale » des opérations implique une connaissance approfondie des codes des impôts des L’architecture juridique et fiscale des projets d’investis- pays d’origine des promoteurs et du pays d’accueil du sements internationaux est souvent complexe, car les projet, ainsi que des conventions fiscales internationa- contrats conclus entre leurs acteurs doivent se plier à les. Les questions fiscales les plus récurrentes portent des contraintes à la fois d’ordre juridique (la conciliation sur les « conventions intra-groupe » et les « domicilia- de droits locaux et internationaux), fiscal (les sponsors tions fiscales », d’une part, sur les déductibilités fiscales, recherchent généralement l’allègement et/ou l’inté- d’autre part, et enfin, sur les rémunérations des per- gration), financier (la solidité du montage contribue à sonnels expatriés et les commissions des intermédiai- améliorer son « effet de levier »), comptable (les ratios res. Leur traitement implique l’anticipation d’une stra- comptables des sponsors ne doivent pas être affectés tégie fiscale ( strategic tax planning), cohérente avec par le montage) et stratégique (ces derniers doivent les approches juridique et financière du projet29.
conserver en permanence le contrôle du projet). 3.1.1.Les flux intra-groupes et la domiciliation fiscale Bien que relevant du droit comparé, les constructions Afin d’éviter les doubles impositions et d’alléger leur juridiques, fiscales et comptables des projets sont do- pression fiscale - sans contrevenir aux dispositions minées par les règles et les pratiques de la « common régissant les « prix de transfert internes », les « actes law » anglo-saxonne. Elles sont également encadrées anormaux de gestion » ou les « sociétés fictives » -, les par les conventions internationales sanctionnant les sponsors doivent s’efforcer de bénéficier du « régime pratiques déloyales. Elles sont enfin régies par des co- de l’intégration fiscale » et d’organiser leurs « flux in- des et usages professionnels spécifiques. tra-groupe » avec la société-projet, grâce à des factu- Le montage d’un projet poursuit plusieurs objectifs rations de produits et services divers (« management partiellement contradictoires: la « sécurisation » du fees »), d’intérêts sur prêts subordonnés, de commis- projet (security package ) - dont il permet de limiter sions de courtage, de redevances de licences,…30 les risques en les répartissant entre les acteurs -, « Ils sont parfois conduits à réaliser des montages offs- l’optimisation » financière et fiscale du projet - dont il hore , en localisant l’enregistrement et l’imposition de contribue à alléger les charges bancaires et fiscales -, leurs résultats dans des sièges sociaux, des centres de re- la « régulation » des rapports entre les co-contractants facturation (ou« quartiers généraux »31), situés dans des - dont il s’efforce de concilier les intérêts parfois diver- pays à régime fiscal privilégié ( dits « paradis fiscaux »). gents. Afin d’atteindre ces objectifs, « l’arrangement » juridique repose généralement sur une « entité-projet 29. DUCCINI R., Approche fiscale des contrats internatrionaux, » (partenariat, filiale ad hoc ou filiale commune), dont le statut et l’organisation sont fixés par une « conven- 30. MEDUS J.L., « Ingénierie financière et mécanismes de flux intra-groupe », communication à l’Institut français de gestion, 1992.
tion d’associés » - destinée à constituer le « nœud » 31. sociétés de gestion d’un groupe industriel. C’est notamment le cas des Foreign Sales Corporations des loyers de crédit-bail, d’autre part. Elles contribuent (FSC) américaines, de certaines « structures-relais » (SR) à moduler le cash flow de la société-projet, grâce à un ou « sociétés-financières captives » (SFC), constituées à échéancement approprié des loyers. Des techniques partir des années 1980, comme l’illustre le cas suivant : de plus en plus variées ont ainsi été mises au point depuis le milieu des années 1980 : crédit-bail direct De nombreuses firmes non américaines ont investi (direct lease ou single-investor lease), crédit-bail « avec sur le territoire des Etats-Unis - et inversement, des effet de levier » (leveraged lease), crédit-baux interna- entreprises américaines ont investi à l’étranger - en tionaux (cross-border lease et double-dip lease), cré- constituant des « filiales financières captives » dans dit-baux globaux (synthetic lease), crédit-bail mobilier les Antilles néerlandaises, car le traité fiscal entre ce (TRAC lease)… Des montages adaptés aux spécificités pays et les Etats-Unis ne prévoyait pas initialement de fiscales locales, ont été ainsi conçus : leasings améri- taxation des dividendes et des intérêts sur emprunts cain, japonais, anglais, allemand, français (fondés sur (la withholding tax est de 30% aux Etats -Unis). Ce ré- des « GIE fiscaux »), « islamiques »… gime privilégié a été appliqué dans plusieurs autres « Lorsqu’un promoteur ou une société-projet est en si- tuation de surendettement, il peut trans- férer sous certaines conditions tout ou Le montage-type basé sur une filiale financière captive partie de sa dette à un tiers (trust) par un mécanisme de defeasance, initié en 1982 par le groupe pétrolier Exxon. Le rééquili- brage (« toilettage » ou window dressing) de son bilan , lui permet d’accéder à un meilleur coût à d’autres sources de finan- cement. Le passif « défait » est alors cédé à un trust, avec un montant équivalent d’actifs financiers non risqués à rende- tions). Le trust, geré par un trustee, assure le service de la dette grâce aux intérêts sur les actifs financiers transférés32. Par ce mécanisme (in-substance defeasance), le cédant n’est toutefois pas libéré juridique- ment de sa créance en cas de défaillance 3.1.2. Le crédit-bail fiscal, la defeasance et la « titrisation » La « titrisation », apparue au cours des années 1970, est une procédure permettant de transformer des ac- Les techniques du financement en « crédit-bail fiscal » tifs non négociables (tangible assets) en titres négo- (tax-oriented lease ou true-lease) des équipements et ciables (asset-back bonds). Des portefeuilles (pools) de des travaux sont de plus en plus utilisées dans la pro- créances sont cédées à un trust - ou, en France, à ject finance, en raison de leur souplesse d’adaptation un fonds commun de créances (FCC) - qui émet des aux contraintes juridiques locales. Elles permettent titres (ou parts) négociables, généralement souscrits en effet de réduire la pression fiscale (impôts sur les par des fonds d’investissement. Par ce type de mon- bénéfices, sur les plus-values, sur les transactions,…) tage, un sponsor ou une project-company est en me- des crédit-bailleurs, grâce à la déductibilité fiscale des amortissements comptables des actifs et des intérêts 32. Ce type de montage a été vulgarisé en France par le plan de financiers sur emprunts, d’une part, et des locataires- exploitants, grâce à l’imputation en charges externes 33. ALAMOWITCH S, « la mise en place d’une opération de de-feasance », Marchés et techniques financières, 1994. sure de dégager des capitaux propres ou de réduire nécessite une succession de procédures complexes, son endettement. Plusieurs variantes ont été mises au longues, coûteuses et décourageantes. Il y a eu selon point afin de sécuriser les transferts : le pass through, G. Duhamel36 depuis une dizaine d’années 2 005 me- portant sur la cession de créances hypothécaires à un sures « pour l’aide à la création d’entreprise » gérées trust ; le pay-through, sans cession de créances à un trust ; le market-value asset-backed bonds, adossés à Peut-on dans ces conditions jeter l’opprobre sur les en- des obligations garanties sur des actifs tangibles ; la trepreneurs dynamiques qui préfèrent créer leur en- third-party credit supported debt, couverte par des ga- treprise en deux heures et à un coût symbolique dans un pays comme le RU ou dans un paradis fiscal ? L’existence de paradis fiscaux et de places offshore au Les paradis fiscaux forcent les Etats aux fiscalités mal sein d’une zone de libre échange, favorise le dévelop- gérées à les rendre plus juste et constituent un contre- pement de l’ingénierie financière et fiscale de projet, poids à l’excès de l’Etat-providence.
et contribue, dans le cadre du mouvement actuel de repli de « l’Etat-Providence » - à la multiplication des En permettant à certains agents économiques de se grands projets d’intérêt général développés sous des soustraire à l’impôt alors que d’autres le paye, ces pays régimes de concession au sein des PED, des NPI et des peuvent être accusés de provoquer une certaine in- PECO, avec les soutiens des organisations financières justice sociale. En revanche, ils sont source d’efficacité internationales. Lorsqu’ils font appel public à l’épargne, économique puisqu’ils permettent l’augmentation de ces projets contribuent directement à l’émergence et la richesse et de l’emploi. Le recours à la thèse des éco- à l’expansion des places financières locales. nomistes de l’offre confirme cette assertion.
En effet, Laffer met en évidence les effets désincitatifs 3.2. Un moyen de régulation économique au sein d’une fiscalité trop lourde. Il montre qu’une augmen- tation des taux d’imposition peut entraîner une réduc- Les niveaux élevés d’imposition enferment l’économie tion des recettes fiscales, d’où l’adage « trop d’impôt dans un carcan de rigidité bureaucratique, jugulent tue l’impôt ». Ce paradoxe est souvent illustré par une les initiatives privées porteuses de progrès, et dimi- courbe en cloche, qui lie le niveau de recettes fisca- nuent l’esprit d’entreprise ainsi que la compétitivité de les de l’Etat au taux d’imposition. Elle porte le nom de cette dernière du fait de l’augmentation du coût du courbe de Laffer.
travail. Il s’en suit une réduction de richesses créées et Pour rendre compte de ce paradoxe, Laffer s’appuie sur les enseignements de la micro-économie tradition- Le poids de l’imposition stimule donc la recherche nelle. Pour toutes choses égales par ailleurs, la hausse d’évasion fiscale et de délocalisation de la production du taux d’imposition sur les revenus du travail réduit le salaire net. Cela amène les contribuables à réduire leur offre de travail. Les agents vont préférer réduire De ce fait, les paradis fiscaux apparaissent comme leur temps de travail et maximiser leur temps de loisirs. une échappatoire aux entreprises lourdement taxées Ils vont avoir tendance à recourir à l’économie souter- et une source de création de richesse qui dynamise raine, au travail au noir et à la fraude fiscale.
l’économie à l’échelon international. Ils redonnent aux entrepreneurs, qui sont la source du développement Ils vont aussi transférer leurs activités marchandes vers économique35, l’opportunité de réaliser leurs projets. des activités non-marchandes. A titre d’illustration une La création d’une entreprise en France par exemple augmentation des impôts incite à cultiver son pota- ger, plutôt qu’à travailler pour s’acheter des légumes 34. JOUAN P., « les véhicules de titrisation : projets européens », au marché. Toutes ces réactions vont provoquer la Marchés et techniques financières, n°47, février 1992.
réduction de l’assiette de l’impôt. Ces agents économi- 35. L’abondante littérature sur la théorie du développement éco-nomique met l’accent sur le rôle fondamental joué par les entre- ques exacerbés par la forte pression fiscale vont aussi preneurs dans la croissance économique. L’absence d’une classe suffisante d’entrepreneurs est source de stagnation économique. Voir à titre indicatif les développements de Rostow, « The Take off 36. Grégoire DUHAMEL, « contribuables, mais pas coupables », Ed. into Self-Sustained Growth », Economic Journal, March 1956.
tenter de transférer leurs capitaux à l’étranger, notam- uniquement des problèmes économiques internes re- ment vers les paradis fiscaux. Les entreprises en dissi- latifs au pays comme on l’a précisé et démontré précé- mulant ou en sous déclarant leurs revenus vont être demment. Il influe également sur le développement incités à produire davantage et accroître la croissance économique des pays voisins. Le bon déroulement mondiale. Ces derniers apparaissent dans ces condi- des affaires dans les paradis fiscaux peut stimuler les tions comme créateurs de richesses. Ils vont permettre investissements et les affaires complémentaires dans d’augmenter la production, ce qui compensera la per- les autres pays. Cela accroît la base taxable de ces der- te de cette dernière, dans le pays normal consécutive niers et améliore leurs recettes fiscales. Ces pays peu- vent ainsi avoir un rôle à jouer dans le développement L’application de cette thèse sur les paradis fiscaux per- met de déduire que ces derniers sont optimaux au Hines et Rice40 ont étudié les effets des investisse- sens de Pareto et permettent d’accroître le bien-être ments des multinationales américaines dans les para- mondial. En facilitant les stratégies de contournement dis fiscaux sur les recettes fiscales des EU. Même si la fiscal, ils entraînent une certaine injustice sociale. Ils faible pression fiscale attire les affaires vers les paradis augmentent néanmoins l’efficacité économique. Cet- fiscaux, le gouvernement encourage l’utilisation de te allégation rejoint l’idée développée par Kolm37 sur ces derniers par les multinationales puisqu’il trouve le le fait que l’optimum peut devoir être injuste.
moyen d’augmenter ses recettes fiscales.
L’auteur affirme que la justice peut être inefficace ou Ils affirment que les profits gagnés dans les pays à forte même impossible. Il illustre son idée par l’exemple pression fiscale génèrent des crédits d’impôt qui dimi- d’un individu qui a perdu une jambe. Aucune com- nuent l’impôt sur les sociétés collecté par le gouver- pensation ne pourrait le rendre « aussi heureux » que nement américain. A l’inverse, ceux gagnés dans les quelqu’un qui a tous ses membres. Le fait d’estropier paradis fiscaux génèrent très peu de crédits d’impôt les autres pourrait peut-être établir la justice. Mais cet et augmentent les recettes fiscales des EU. De plus, les faibles taux d’impositions pratiqués dans les paradis fiscaux incitent les firmes à transférer leurs profits des La justice peut donc être inoptimale et l’optimum peut pays à fiscalité élevée vers les paradis fiscaux où ils gé- devoir être injuste. Pour lui : « Le concept de justice ne nèrent moins de crédits d’impôt.
suffit donc certainement pas à définir l’optimum social de la façon la plus générale, à désigner la meilleure Par ailleurs, dans le même ordre d’idée, un certain distribution des solutions et des biens entre tous les nombre d’auteurs soutiennent que la proximité d’un paradis fiscal et plus particulièrement son apparte- nance à l’UE peuvent créer une concurrence entre les L’idée de Kolm permet de constater que lorsque, au entreprises des différents pays et rapproche les prix du nom de la justice sociale et de la répartition, l’Etat pré- marché des coûts marginaux. La réduction de la con- lève l’argent aux uns pour le redistribuer aux autres, sommation et de la production, diminuant les recet- ne fait que détruire ce qu’il prétend répartir. En fait, tes fiscales du pays normal et entraînant une perte de en tuant le capital par l’impôt, le gouvernement ne bien-être, sera compensée par la diminution des prix. nuit pas seulement aux capitalistes, mais augmente La justification de ces propos nécessite le recours à la le nombre des pauvres dans le futur39. L’exemple de théorie de la nouvelle économie géographique.
Kolm illustre bien cette assertion, puisqu’il explique que le fait d’estropier les autres pourrait peut-être éta- Les évasions peuvent améliorer le bien-être en dépit blir la justice mais engendre une inefficacité.
de la modification des taux d’imposition opérée par les Etats afin de compenser la perte des recettes41. Le statut de paradis fiscal ne permet pas de résoudre 40. James R. HINES et Eric M. RICE, « Fiscal Paradise : Foreign Tax Havens and American Business », Quarterly Journal of Economics, 37. S-C KOLM, « Modern theories of justice », The MIT Press Cam- bridge, Massachussetts, London, England, 1996.
41. Pour un examen complet de ces explications, le lecteur se reportera aux démonstrations de Rodney D. LUDEMA and Ian WOOTON, « Economic Geographie and Fiscal effects of Regional 39. Voir à ce sujet, P. SALIN, « l’arbitraire fiscal », édition Slatkine, Integration », Center for Economic Policy Research Discussion Paper, N° 1822, pp. 1-34, March 1998.
G. A. TRANDEL, « Evading the Use Uax on Cross-border Sales, Pricing and Welfare effects », Journal of Public Economics, N° 49, 3.3. Un instrument de planification fiscale à la dis- Plusieurs jurisprudences, telles que celles de la cham- bre des requêtes de la Cour de Cassation française de 1926, de la cour suprême écossaise de 1929 ou de la cour suprême des Etats-Unis de 1935, estiment que Au fil des développements précédents, il a été établi l’évasion reste une pratique légale puisque ce qui n’est que les entreprises ont la possibilité de jouer sur les pas interdit ou ordonné par la loi des finances ne peut différences de systèmes fiscaux entre Etats et sur les être défendu ou exigé44.
avantages offerts par les conventions fiscales pour ré- duire leurs impôts. Cela incite les multinationales et les L’évasion résulte de la difficulté rencontrée par les lé- institutions financières à mettre au point des stratégies gislateurs à définir l’assiette des impôts. Le problème planétaires. Ces procédés soulèvent bien des inquiétu- de l’information se trouve à l’origine de cette difficulté des et des interrogations quant à leur légitimité. Dans et concerne le comportement inobservable des contri- quelle mesure dérogent-ils à l’éthique du travail ? buables. Ce problème est qualifié de hasard ou risque moral. Cette notion est définie par Claude Pondaven La distinction entre les trois principaux comportements comme « l’action des agents économiques qui maxi- de défection donne la clé de la réponse. Les cloisons misent leur propre utilité au détriment des autres dans entre la planification fiscale, l’évasion et la fraude sont les situations où ils ne supportent pas les conséquen- de moins en moins étanches. De surcroît, l’analyse du ces totales. Ces situations peuvent inclure une grande comportement dans la logique juridique diffère de la gamme d’externalités et peuvent altérer l’équilibre ou logique économique. Les juristes se basent sur l’inter- provoquer des équilibres inefficaces quand ils existent. prétation des lois et les intentions des contribuables, C’est une forme particulière de contrats incomplets alors que les économistes privilégient les opportunités, créant le conflit entre l’utilité des agents et celle des les ressources, les incitations et les motivations. autres. Cette incomplétude peut naître de plusieurs La distinction juridique entre les notions de « fraude raisons : coexistence d’information asymétrique et fiscale » et « d’évasion fiscale » ainsi que la distinction aversion au risque, production jointe, coûts ou barriè- entre « évasion fiscale » et « planification fiscale » varie d’un pays à l’autre en fonction de l’interprétation de la L’administration fiscale possède très peu d’informa- loi et de la perception qu’a le juge des intentions qui tions sur les spécificités de chaque contribuable. Or, les sous-tendent l’action du contribuable : conditions d’une fiscalité optimale sont soumises à la La fraude fiscale est une façon d’échapper à l’im- qualité de l’information disponible. Le système fiscal est pôt par des moyens répréhensibles42.
fondé sur le comportement général des individus plu- tôt que sur leurs caractéristiques spécifiques. A défaut Elle recouvre l’ensemble des actions illégales du con- de pouvoir cerner avec exactitude le comportement tribuable qui implique une violation de la loi fiscale. Le fiscal observable, l’élaboration de la loi fiscale peut fraudeur va sous-évaluer ses revenus ou surévaluer accidentellement favoriser des schémas d’évasion les déductions et les exemptions mentionnés dans sa fiscale. L’évasion dépend ainsi de la manière de défi- déclaration de revenu. La fraude fiscale peut aussi pro- nir l’assiette fiscale. Ainsi que l’a remarqué Kay , l’éva- venir de la commission d’autres fraudes comme le tra- sion fiscale dépend de l’assiette de l’impôt alors que vail au noir. La fraude fiscale est passible de sanctions la fraude dépend de la procédure d’assujettissement, et de l’étendue du contrôle fiscal. La fraude fiscale est une conséquence de la déformation de l’information. Par contre, l’évasion fiscale permet de diminuer Cette dernière explique le conflit entre le contribuable légalement le poids de l’impôt en faisant jouer di- verses dispositions de la législation43.
44. Cf. L. LESERVOISIER, les paradis fiscaux », que sais-je ? N° 2 500, 42. Cf. G. CORNU, « vocabulaire juridique », Association Henri 45. Claude PONDAVEN, « Economie des Décisions Publiques, 43. O. JEREZ, « le blanchiment de l’argent », Banque éditeur, pp. décentralisation, déréglementation, fiscalité », Ed. Vuibert, pp. 16, La planification fiscale se situe à l’intérieur du concept l’opinion internationale majoritairement hostile à ces d’évasion fiscale. Cette pratique est légitime et consis- pays, il demeure délicat, pour l’heure, d’envisager leur te à utiliser les allégements et les exemptions fiscaux avenir.
contenus dans les législations internes ou de se passer de la consommation d’un produit taxé au profit d’un autre moins taxé. D’après le rapport de l’OCDE, cette pratique n’est légale que lorsque le mécanisme ou le montage utilisé correspond à des transactions com- ALAMOWITCH S, « la mise en place d’une opération de defeasance », Marchés et techniques financières, Les techniques permettant aux multinationales de di- minuer leurs impositions sont un moyen légitime, une BOADWAY R., MARCHAND M., PESTIAU P., « Towards nécessité économique permettant de faire baisser les a Theory of the Indirect Tax Mix », Journal of Public coûts et d’arriver à une faible imposition internatio- nale, proche des taux les plus bas. De surcroît, l’ina- Coopers and Lybrand, « Cyprus : The Way for Business déquation entre les législations nationales engendre Investors », Coopers and Lybrand, Nicosia, 1999.
des surimpositions pour les entreprises qui opèrent à l’échelon international et légitimise le recours aux pa- CORNU G., « Vocabulaire juridique », Association Hen- COWELL F.A., « The Economic Analysis of Tax Evasion », Bulletin of Economic Research, 37 (3), pp. 163-193, 1985.
A l’issue de cette analyse, il ressort que le caractère at- COWELL F.A., « Cheating the Government. The Eco- tractif des paradis fiscaux ne se limite pas à une simple nomics of Evasion », Cambridge M.A. : The MIT Press, recherche d’une rente de situation. Il vise aussi à créer des incidences favorables à leurs économies afin de combler des éventuels handicaps structurels. Ces pays COWELL F.A., GORDON J.P.F., « Unwillingness to Pay, peuvent, sous certaines conditions, constituer des Tax Evasion and Public Good Provision », Journal of vecteurs de concurrence fiscale, de libéralisation des Public Economics, 36(3), pp. 305-321, 1988.
marchés et de développement des économies locales, mais aussi, des leviers d’optimisation fiscale, de gestion DIAMOND D., « Tax Havens of the World », Ed. Mat- des risques-pays et de rentabilisation de certains inves- tissements socialement responsables. Ils possèdent un DUCCINI R., Approche fiscale des contrats internatrio- potentiel d’effets externes pouvant servir la cause de naux, Litec Droit, 1985.
l’efficacité économique. Le bon déroulement des affai- res dans les paradis fiscaux peut stimuler les investisse- DUHAMEL G., « Contribuables, mais pas coupables », ments et les affaires complémentaires dans les autres DUHAMEL G., « Les paradis fiscaux », Ed. Grancher, Dès lors, leur adhésion à l’Union européenne ne cau- serait pas nécessairement les désagréments générale- ment dénoncés, mais pourrait canaliser les capitaux in- EDWARDS J., KEEN M., « Tax Competition and Levia- ternationaux et l’investissement étranger vers la zone than », European Economic Review 40, pp. 113-134, euro. Cette lecture de la réalité est souvent refoulée 1996.
au profit de l’argument qui voit souvent dans l’émer- ESCAUT Pierre, « Paradis fiscaux : typologie et risques gence des paradis fiscaux un facteur de risque et qui d’utilisation », Accomex, janvier 1996.
plaide pour une lutte contre ce type de pays.
GERARD M., HADHRI M., « Concurrence fiscale, finance- L’attractivité de ces derniers paraît en effet dominante ment du non-marchand et distribution des revenus », Ca- et déterminante pour le futur. Néanmoins, eu égard à hiers Economiques de Bruxelles, N° 140, pp. 449-488, GOUTHIERE Bruno, « Les impôts dans les affaires inter- Monde et développement, 36 (3), février 1996.
nationales », Ed. Francis LEFEBVRE, 1990.
OCDE, « Quatre études sur l’évasion et la fraude fis- HINES James R., RICE Eric M., « Fiscal Paradise : Fo- cales internationales », publication de l’OCDE, Paris, reign Tax Havens and American Business », The Qua- terly Journal of Economics, N° 109,pp. 149-182, février PERSSON T., TABELLINI G., « The Politics of 1992 : Fis- cal Policy and European Integration », Review of Eco- HUGOUNENQ Réjane, Le CACHEUX Jacques et MA- nomic Studies, 59, pp. 689-701, 1992.
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Source: http://www.lux-ias.lu/PDF/Hatem.pdf

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